Le mystère de mon paternel (partie 45)
Je ne sais pas combien de temps nous sommes resté ainsi. Mais je sais que le soleil se couche lorsque j’ouvre les yeux et la lumière orangée qui baigne College Square, le léger vent qui balaie la place alors qu’elle se vide petit à petit de ses passants et ses voitures me ramène à la réalité (et surtout, les gargouillements de mon estomac). Henry, afin de nous remonter le moral décide de nous emmener dîner au dessus du Crown Liquor Saloon, au Flanigan’s, qui est l’un des meilleurs restaurant traditionnel Irlandais de Belfast. Nous y passons une soirée plus qu’agréable, avec une cuisine délicieuse, puis, alors que nous prenons un digestif et que les autres clients sont partis, le chef cuisinier se joint à nous. Il parle français car il a fait ses études à Paris, suivant une formation dans l’école hôtelière Médéric. C’est donc avec plaisir que nous discutons. Je me souviens de ses yeux brillants à l’évocation de quelques plats Français qu’il aimait ou de bons vins de Bordeaux ou de Bourgogne. Mais je me souviens surtout d’une phrase qu’il a dit en parlant du Haggis, le plat national Ecossais : Lorsqu’on vous l’amène, à l’odeur et l’aspect, on croirait que c’est de la merde. Mais lorsqu’on le goûte, on regrette que ce n’en soit pas…
Nous avions beaucoup ri de cette boutade. Et c’est ainsi qu’il justifiait l’absence de ce plat à la carte de son établissement, qui comporte pourtant toutes les spécialités culinaires du Royaume Uni.
Après ce repas fort agréable, nous rentrons à l’hôtel, fatigués de cette journée. Nous ne repartons pour la France que samedi, aussi, nous avons la journée de demain pour profiter de la ville ou des environs. Nous décidons d’attendre le lendemain pour décider de ce que nous ferons. Le vent est toujours présent, rafraîchissant la soirée. Lorsque nous arrivons à l’hôtel, Moyra est dans le hall, assise sur une banquette. Henry me laisse et monte dans sa chambre. Je récupère la clef de ma chambre puis nous montons. A peine la porte fermée, Moyra se jette dans mes bras et m’embrasse. Nous faisons l’amour, bestialement. Nous ne nous sommes quittés que depuis ce matin, cela ne fait qu’à peine plus d’une douzaine d’heures, mais je me rends compte à quel point elle m’a manqué et également à quel point je lui ai manqué. C’est fort, c’est puissant. Nous prenons ce dont nous avons besoin. Puis une fois rassasiée, une fois la soif de l’autre qui étreignait nos corps étanchée, nous prenons soin de nos âmes. La douceur vient couvrir notre envie, comme un drap de pudeur, un chant des morts après la bataille. La discussion s’installe. Après l’échange des corps, l’échange des sens vient l’échange des sons et des silences.
Nous parlons longuement. Je lui raconte ma journée, ma déception, mes envies, mes espoirs. Elle me serre dans ses bras, contre sa poitrine, comme le ferait une mère. Puis, je m’épanche sur un autre sujet qui me tracasse :
« Et pour nous ? »
« Quoi pour nous ? »
« Ben oui, qu’est ce qui va se passer ? Je veux dire, je suis bien avec toi, vraiment bien. Mais je dois rentrer samedi. Je ne peux rester. Et pourtant, je me suis aperçu lorsque je t’ai vue tout à l’heure dans le hall à m’attendre que j’ai besoin de toi. Je n’ai jamais ressenti autant de sentiments en aussi peu de temps. Habituellement, j’ai besoin de temps. Mais là, tu es en moi, comme si c’était naturel que tu y sois. Tu vois ce que je veux dire ? »
« Oui, je comprends car pour moi aussi, c’est particulier. Mais c’est allé très vite entre nous, nous avons chacun notre vie et chacun notre pays. Je sais qu’il y a encore beaucoup de choses qui vont changer ici et je veux être là quand tout cela arrivera. La guerre finira par s’arrêter. L’Irlande du nord devra se reconstruire et je veux faire partie de cette histoire là. Je fais partie de cette génération qui en a marre de cette guerre et qui veut plus, qui voit plus loin que le passé. Alors même si je n’ai jamais ressenti ce que je ressens pour toi auparavant, même si je suis heureuse avec toi, je dois rester à Belfast. Ma vie est ici. Alors je ne sais pas si il peut y avoir un « nous » comme tu dis. Mais nous avons encore le temps. Je compte bien passer la journée de demain avec toi. Profiter de toi encore. Si tu es d’accord, bien sûr. »